Mon cher Proust, moi, la madeleine je ne l'aurais pas trempée dans le thé
Avant mon départ, ma mère m’a fait des madeleines. Ah les madeleines maison : un pur délice. Tout en les mangeant, je pensais :
« Tiens, je pourrais exploiter ça pour le blog. Mais de quoi parler précisément ? L’histoire (ou plus probablement la légende) de la madeleine est connue. Parler de Proust je n’ai pas envie car on a l’impression que les centaines et les centaines de pages écrites par cet homme se résument à « la madeleine de Proust », alors que A la Recherche du temps perdu est loin de se limiter à ce texte… ».
Toutefois, je n’ai pas pu m’empêcher de relire ce passage célébrissime :
"Il y avait bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. (…) D’où avait pu me venir cette puissante joie? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle? Que signifiait-elle? Où l’appréhender? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer."
Non, je me refuse de parler de ce passage (et ceci n’est pas une prétérition) : allez sur google, il doit y avoir foisons de sites qui l’analysent. La raison pour laquelle je poste le texte (qui est très beau, hein ! moi j’adore l’adjectif "dodu" utilisé pour définir les madeleines : parfait) c’est que le narrateur TREMPE sa madeleine dans son thé.
Et de là, toute une réflexion. J’ai réalisé à ce moment-là (mais j’avais déjà remarqué un blog où il en était question) que l’humanité se divise en 2 grandes catégories :
- ceux qui trempent leurs gâteaux dans leur boisson
- ceux qui considèrent cela comme la pire des aberrations.
Les membres du 2e groupe (ceux qui ne conçoivent pas de tremper leur gâteau dans le liquide chaud) vous répondront qu’ils détestent retrouver les miettes au fond de leur tasse et qu’ils préfèrent sentir le goût du biscuit seul sans qu’il soit mêlé à celui de leur thé ou de leur café.
Les membres du 1er groupe, eux, se moquent bien des miettes et apprécient au contraire ce mariage de saveurs : tremper un biscuit au chocolat dans du café, par exemple, peut mettre en valeur le goût du cacao. Certains vont encore plus loin et trempent leur tartines au beurre dans le chocolat chaud alors que le groupe adverse regardera avec dégoût les taches de graisses qui émergeront à la surface du lait.
Mais il y a d’autres facteurs qui peuvent jouer. Prenons mon cas. Moi je suis quelqu’un qui ne peut même pas concevoir que l’on puisse tremper du pain dans un liquide chaud. Mais s’il y a une chose que j’adore des goûters avec ma grand-mère, c’est bien les petits biscuits que je trempe dans le café. Non, il n'y a pas de contradiction car, en réfléchissant, j’ai trouvé d’autres arguments contre ou à faveur du « trempage » :
Si, personnellement, j’aime autant tremper mes biscuits dans le café, c’est car je suis l’impatience même. Le café étant brûlant, je me sers des biscuits (à température ambiante) pour profiter au plus vite du goût du café sans devoir attendre qu'il refroidisse.
Ensuite, pour ce qui me concerne, la nature du liquide joue énormément : dans le café ou dans le lait, on peut tremper son gâteau sans souci, pour moi. C’est le thé qui à mes yeux est tabou : j’ai l’impression que j’humidifie mon biscuit dans de l’eau chaude. Donc je suis désolée, Proust, la madeleine je l’aurais mangée telle quelle, moi.
Mais n’oublions pas aussi la texture du gâteau : tremper un biscuit, croquant, dans du liquide me semble tout à fait logique (car ça l’amollit), mais tremper un gâteau moelleux (ou une tartine de pain) dans ma tasse, voilà que j’ai du mal.
Voilà, pensez à tout ça demain matin en prenant votre petit déjeuner ! Et il suffit de cliquer ici pour une recette de madeleines maison pour commencer la journée du bon pied.
