Même un philosophe ne sait dire non aux figues
La figue est un fruit connu depuis longtemps dans le bassin méditerranéen : les livres nous en fournissent une preuve. Par exemple, dans l’Ancien Testament, Adam et Eve se servent d’une feuille de figue pour se couvrir, une fois mangé le fruit défendu. Mais les exemples ne manquent pas aussi chez les philosophes grecs.
J’ai découvert, par exemple, que Platon était un grand amateur de ce fruit. Ainsi, il y a quelques passages où il est question de cette passion dans les Vies et doctrines des philosophes illustres de Diogène Laërce (ça fait partie des livres qu’un jour je dois acheter : c’est une sorte de compilation d’anecdotes sur tous les philosophes anciens. La plupart sont sans doute inventées, mais c’est rigolo de voir que même ces grands penseurs mangeaient, allaient voir les courtisanes, s’insultaient… bref eux aussi pouvaient être ridicules, parfois).
Je reprends la traduction du site http://remacle.org (THE site à aller consulter quand on a besoin de retrouver une ligne dans un texte en latin ou en grec ancien ), même s’il s’agit d’une traduction qui date de 1847…
Nous sommes au livre VI, chapitre 2, celui consacré à Diogène (philosophe cynique qui vivait dans un tonneau et qui méprisait les conventions sociales. D’ailleurs il n’avait pas de poils sur la langue et ne se privait donc pas d’insulter et de critiquer son interlocuteur s’il ne partageait pas son point de vue).
(Cliquez ici pour revoir le passage dans son contexte)
[25] « (…) Une fois mangeant des figues, il rencontra Platon, à qui il dit qu'il pouvait en prendre sa part ; et comme Platon en prit et en mangea, Diogène lui dit qu'il lui avait bien dit d'en prendre, mais non pas d'en manger. »
En réalité, je suis moyennement satisfaite par cette traduction car je suis allée voir comment les Anglais (ou les Italiens) traduisent ce passage. Voici ce que ça donne :
"I said that you might have a share of them, not that you might eat them all."
"Avevo detto di prenderne un po’, non di divorarmeli tutti!”
(J’avais dit d’en prendre une part, pas de les dévorer tous!)
Comme vous pouvez le voir le jeu de mots n’est pas du tout le même, quoique dans les deux cas Diogène se moque de Platon. Mais dans la première version, on joue sur toutes les significations du verbe « prendre », alors que dans la 2e, Diogène condamne la goinfrerie de Platon qui n’avait pas compris que cette humble poignée de figues était destinée aux deux philosophes. Pour faire bref :
- dans la 1ère traduction, c’est la gourmandise+la stupidité de Platon qui est blâmée
- lors que dans la 2e c’est sa gourmandise+son égoïsme
(j’irai vérifier dans une édition plus récente, à la rentrée, comment a été traduit ce passage).
[26] « (…) Diogène ayant un jour prié ce philosophe de lui envoyer du vin, et en même temps des figues, Platon lui fit porter une cruche pleine de vin ; sur quoi Diogène lui dit : « Si l'on vous demandait combien font deux et deux, vous répondriez qu'ils font vingt. Vous ne donnez point suivant ce qu'on vous demande, et vous ne répondez point suivant les questions qu'on vous fait, » voulant par là le taxer d'être grand parleur. »
Cette fois-ci Diogène se moque de la philosophie platonicienne qui à force de remonter toujours aux causes, en oublie de répondre à la question de départ.
Et pour terminer un dernier extrait où cette fois-ci Diogène ne s’entretient pas avec Platon, mais avec Aristote (Livre V, chapitre 1, cliquez ici pour revoir le passage dans son contexte) :
« (…) Diogène lui ayant présenté une figue, il songea que s’il la refusait le cynique devait avoir un bon mot tout prêt; il prit donc la figue, et dit : « Diogène a perdu en même temps sa figue et son bon mot. » Diogène lui en ayant donné une autre, il la prit, l’éleva en l’air à la manière des enfants, et s’écria : « Ô grand Diogène ! » puis il la lui rendit. »
J’adore ce passage-là car pour une fois il y a quelqu’un qui tourne en ridicule Diogène (ce Diogène passe ses journées à se moquer de tout le monde sans pitié !). Tu veux perdre ton temps à tendre des pièges aux gens ? Et bien tu vas perdre aussi tes figues que tu aimes tant, bien fait pour toi ! Sans compter, qu’Aristote finalement est sympa car il lui rend la 2e, figue : il partage, quoi…