Les préjugés sur la "bonne cuisine"
Aujourd’hui je relisais la préface de Jean-François Revel à Physiologie du goût de Brillat-Savarin. J’adore Jean-Fançois Revel, son ton enjoué et ses analyses si fines sur la gastronomie (je recommande vivement son livre Un festin en paroles aussi). Je vous fais part des préjugés sur la cuisine qu’il relève et qu’il démonte dans cette préface : il les a énumérés en 1981… et pourtant tout cela est encore bien d’actualité. Les voici :
« La bonne cuisine est liée à la richesse »
Réfutation de J. F. Revel : « Certains des pays où le niveau de vie est le plus élevé sont aussi parmi ceux qui mangent le plus mal. Par contre, certains pays où la population est pauvre ont une bonne cuisine. Bien plus : la bonne cuisine est souvent une lutte contre le gaspillage et contre la monotonie d’une alimentation à base de produits peu nombreux et peu coûteux. »
« La bonne cuisine est « compliquée », elle demande du temps, la préparation de sauces savantes, elle est incompatible avec l’accélération de la vie moderne etc »
Réfutation de J. F. Revel : « N’importe quelle statistique montre que la « vie moderne » se caractérise par l’augmentation des loisirs et la diminution du temps de travail. En outre (…) il y a une grande cuisine simple et une grande cuisine compliquée, comme il y a une mauvaise cuisine simple et une mauvaise cuisine compliquée. Il y a des sauces qu’on exécute en quelques minutes et d’autres qui demandent des heures et sont inutiles. (…) ».
« La bonne cuisine est conditionnée par la présence des femmes au foyer, par l’inégalité des sexes, c’est-à-dire par un état périmé de la société »
Réfutations de J. F. Revel :
« a. Je connais des dizaines de femmes qui n’ont jamais rien fichu depuis leur naissance et qui sont incapables d’exécuter la moindre vinaigrette ; et des hommes surmenés qui sont des chefs amateurs remarquables.
b. L’oisiveté de la femme au foyer a toujours été un privilège de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie. Les ouvrières et les paysannes ont toujours travaillé, et une grande partie de la cuisine française, les pot-au-feu et les ragoûts notamment, sont justement nés de là. Car c’est une sotte erreur que de confondre temps de cuisson et temps de présence. La plupart des plats qui "demandent cinq heures de cuisson" sont les vieux plats paysans faits par et pour les gens qui travaillent, les plats qu’on met sur le feu doux en partant aux champs et que l’on trouve prêts à être mangés au retour. Entre les dix minutes qu’exige le pilage dont on badigeonne la daurade à griller en cinq minutes, et les quatre heures pendant lesquelles on doit laisser cuire une queue de bœuf sans la découvrir, on conviendra qu’une certaine marge peut trouver place pour l’activité non aliénée des femmes et des hommes futurs.
c. Il existe deux cuisines : l’une domestique, l’autre professionnelle. (…) La cuisine domestique fait ce qu’elle peut, comme elle le peut. Elle a généralement fait très bien, aussi longtemps que les représentants des usines de produits alimentaires ne l’ont pas persuadée de l’élégance du contraire. L’essentiel est de ne pas se faire plus bête que l’on est, de ne pas faire le mal par principe (…) de ne pas faire passer à table avec une heure de retard pour donner quelque chose de cru, de très cher et de très mauvais, arrosé d’un vin chimique servi dans des verres couverts d’une noble poussière. (Revenu présumé : 12 000 F par mois. Formule : « Eh ben dites donc, c’est rudement gentil ces petites choses-là. ») ».
Voilà, c’était le conseil de lecture du jour !
---------------------
NB : (et pour avoir un aperçu du contenu de ce livre, vous pouvez cliquer ici : vous trouverez "les 20 aphorismes de Brillat-Savarin" à propos des repas)