Pain au chanvre (article historique!)
Une précaution oratoire s’impose : l’article du jour ne vous fera pas part d’une recette à base de stupéfiants (eh non : pas de recette pour faire du "spacebread"). Il s’agit, au contraire, d’un article historique concernant le pain que mangeaient les paysans sous l’ancien régime. J’ai découvert cette question en lisant le livre de Madeleine Ferrières intitulé Histoire des peurs alimentaires. Cela m’a tellement surprise que j’ai décidé de partager avec vous !
Pour faire simple : de nos jours, on est habitué à manger du pain blanc à base de froment (si on mange du pain complet, on opère une autre démarche mais – du fait de la traçabilité – on sait très bien quelles céréales on met alors sous la dent). Dans le temps, toutefois, les paysans mangeaient le plus souvent du pain noir et, dans ce pain noir, pouvaient se trouver toutes sortes de céréales et d’herbes… certaines d'entre elles procurant même des effets assez étonnants.
Ivraie : il s’agit d’une sorte de plante fourragère assimilée aux mauvaises herbes. Il s’avère que quand on en absorbe en trop grande quantité… on ressent des effets semblables à ceux causés par un excès d’alcool (d’où la fausse étymologie considérant qu’ « ivraie » et « ivresse » ont la même origine selon Champier).
Ergot : sorte de champignon parasite qui contamine les céréales (notamment la seigle) sur lesquelles il agit. Parmi ses effets, on trouve ce qu’on appelait vulgairement le « feu de Saint Antoine » : le malade est souvent atteint de spasmes et est hanté par des hallucinations équivalentes à celles suscitées par LSD (autre problème : on s’expose aussi à des gangrènes affectant certaines parties du corps).
Chanvre : le chanvre contient de nombreuses substances dont certaines ont même un potentiel médical. Son composant le plus célèbre est sans doute la THC (principe actif qui peut avoir un effet très euphorisant, surtout si on en abuse).
Autres : cette liste d'éléments mélangés au blé servant à produire le pain n’est pas exhaustive (on peut y ajouter l’ers, par exemple : voir plus bas).
Hypothèse n°1 : à l’époque, les gens avaient tellement de mal à se nourrir correctement qu’ils acceptaient de courir un risque pour se sustenter. Si je n’absorbe qu’une petite dose de poison, cela ne peut pas me faire tant de mal que ça, ou si ?
Hypothèse n°2 : Madeleine Ferrières trouve l’hypothèse précédente simpliste. On lit :
Faut-il continuer à penser que, sous le coup du stress alimentaire, les hommes mangent n’importe quoi ? Rien n’est moins sûr. Ces dosages par essais et par erreurs ont leur signification. Avec un douzième d’ers dans le pain dauphinois, on répond à la notion que nous avons aujourd’hui d’additif : une substance que l’on ajoute intentionnellement, ce qui sous-entend que l’on sait ce qu’on ajoute et en quelle quantité.
(NB : l’ers est une légumineuse riche en protéines certes, mais toxique et stupéfactive aussi).
Bref. De nos jours, par exemple, le sucre est massivement utilisé par l'industrie agroalimentaire pour nous rendre accro à tel ou tel produit mais, en vrai, rien de nouveau sous le soleil : ces stratégies pour rendre plus "appétissant" un aliment aux yeux du consommateur existent depuis toujours.
Bref, j’ai trouvé cet article très très très intéressant et j’ai donc voulu le partager avec vous. Vous trouvez plus d’infos dans le livre (chapitre 7 : « Les peurs muettes »)
